Une photographie de l’attestation
d’équité américaine
Les fairness opinions ont récemment fait l’objet d’une étude de Thomson Financial qui comporte quelques indications précieuses sur l’état actuel de la pratique américaine.
Elle offre aussi un contraste intéressant avec la pratique française.
- Une fairness opinion américaine n’est pas une évaluation, mais une opinion sur les mérites financiers d’une transaction. Son émetteur définit une fourchette de valeurs raisonnable. On rappelle qu’en France l’approche consiste le plus souvent à comparer un prix par rapport à une valeur, ce qui est bien différent.
- Les fairness opinions se sont développées à la suite d’une décision de la Cour Suprême du Delaware en 1985 (le fameux arrêt Smith vs Van Gorkom). Dans les trois années qui ont suivi cette décision, le recours à ces opinions est passé de 19% des transactions à 55%. Il s’agit cependant d’une simple faculté qui permet au conseil d’administration de démontrer qu’il s’est montré diligent dans l’exercice de son devoir fiduciaire.
- Ces opinions font l’objet de multiples critiques : subjectivité des évaluations, utilisation de méthodes archaïques ou critiquables, absence de procédure universellement acceptée, conflits d’intérêts multiples. Dans ce dernier registre, deux pratiques sont particulièrement attaquées : des rémunérations contingentes (l’opinion étant fournie comme une prestation annexe à un conseil plus large rémunéré en fonction du succès de l’opération) et la pratique du « staple finance » (émission d’une fairness opinion à l’intention de la cible et financement de l’acquéreur).
- La réglementation légère qui a été mise en place en 2007(Rule 2290 de la NASD) consiste essentiellement à augmenter le niveau d’information sur les conflits d’intérêts et dans quelle mesure l’information qui a été utilisée a fait l’objet d’une revue indépendante par l’émetteur de l’opinion. Même si les obligations sont réduites, les bénéfices de ces nouvelles dispositions sont de trois ordres : une meilleure information des actionnaires ; une incitation des conseils à réexaminer le processus par lequel une fairness opinion est rendue ; une meilleure information des régulateurs et des juges pour prendre leurs décisions.
- En 2007, 67 transactions ont donné lieu à une publication des honoraires. La moyenne et la médiane se sont élevées respectivement à :
-$ 285 800 et $200K pour les transactions inférieures à $ 100 M
-$ 589 400 et $500K pour les transactions comprises entre $ 100 et 500 M
-$ 814 700 et $750K pour les transactions comprises entre $ 500 M et 1 Md
-$ 1 283 000 et $1,5M pour les transactions comprises entre $ 1 et 5 Mds
-$ 2 433 300 et $1,8M pour les transactions supérieures à $ 5Mds
- On rappelle que la moyenne des attestations d’équité en France s’élève à 125 000 euros (avec une médiane de 55 000 euros)…
- Le recours à des intervenants indépendants n’est pas très fréquent. De 2002 à 2006, 17,2% seulement des opinions délivrées aux initiateurs ont été rémunérées forfaitairement. Ce pourcentage tombe à 12,4% pour celles délivrées aux entreprises acquises.
- Ces chiffres confirment une étude réalisée en 2007 par Darren J.Kisgen, Jun Qian et Weihong Song ("Are Fairness Opinions Fair? The Case of Mergers and Acquisitions"). Les auteurs ont analysé 1202 opérations entre 1993 et 2003. 78% des fairness opinions ont été réalisées par des institutions dont la rémunération était liée au succès de l’opération. A noter que cette même étude a calculé que la médiane des honoraires de fairness opinion s’est élevée à $300 000 contre 2,37 millions de dollars pour celle des honoraires de conseil.
- De manière surprenante, 73% d’un panel de 92 managers interviewés par Thomson Financial déclarent qu’ils envisageraient volontiers de prendre une firme indépendante pour faire une fairness opinion. 23 % l’excluent. 75% considère qu’une banque d’affaires ne devrait pas recevoir de commission de succès si elle est appelé à émettre une fairness opinion (opinion partagée par une majorité encore plus importante des 45 investisseurs professionnels interrogés)
- La raison principale (65%) pour laquelle il serait fait appel à une firme indépendante est d’atténuer les risques de procès intentés par les actionnaires. Pour 25 % il s’agirait d’obtenir une analyse objective de la transaction.
- Malgré cet intérêt pour un avis indépendant, 57% des personnes interrogées considèrent que le coût de cette prestation n’est pas justifié par la valeur qu’elle apporte, le motif d’insatisfaction principal étant que l’établissement choisi ne parvient pas à atteindre un niveau de compréhension suffisant pour éclairer réellement le conseil d’administration.
Et Thomson de conclure que :
“although management is clearly aware of the conflict of interest with the dual role, they are not ready to pull the trigger on hiring a third party because of their concern that the agent will not be able to reach a required level of understanding and provide material insight”.
Cette conclusion nous semble quand même un peu hypocrite ! Il est facile de reprocher à une firme indépendante qui intervient quelques semaines au mieux et quelques jours au pire avant la conclusion d’une transaction d’en savoir moins que le conseil qui est impliqué depuis plusieurs mois. La solution ne serait-elle pas de dissocier résolument les rôles de conseil sur la transaction et d’attestateur d’équité dès le début de l’opération et d’impliquer ce dernier le plus tôt possible.
C’est d’ailleurs la solution souhaitée en France par le rapport Naulot.
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