Le nouveau code de gouvernance :
big bang ou pétard mouillé ?

Le nouveau code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées vient d’être rendu public. Il s’agit de la 7ème version des recommandations que l’Afep et le Medef adressent aux sociétés cotées françaises afin de les inciter à adopter et respecter certaines bonnes pratiques dans le fonctionnement de leurs organes sociaux.

Il est habituel de voir ces pratiques évoluer en fonction des pressions sociales et politiques du moment. Ce texte n’échappe pas à une logique de circonstance : celle de donner des gages au législateur afin de l’inciter à ne pas légiférer pour laisser toutes ses chances à l’autorégulation.

Mais il ne faut pas oublier que la gouvernance n’est pas faite seulement pour répondre à l’acrimonie populaire. Sa première fonction est de donner une consistance au pacte de confiance qui doit s’établir entre une société et ses investisseurs. Elle permet de rassurer les actionnaires sur le respect des promesses qui leur ont été faites et sur la base desquelles ils ont acheté les actions de la société.

Si les dispositions du nouveau code répondent bien aux attentes de la société civile, elles sont d’un intérêt plus incertain pour les actionnaires.

Le nouveau texte s’attache à traiter pour l’essentiel deux questions qui, jusqu’à présent, n’avaient pas reçu de réponses pleinement satisfaisantes. La première concerne un sujet d’actualité : les rémunérations des dirigeants. La seconde est moins médiatique mais essentielle : comment donner plus d’autorité à cette « soft law » dont l’ambition est de suppléer la loi ?

Il faut croire qu’en matière de rémunération de dirigeants les choses sont plus compliquées en France qu’ailleurs. Alors que le code de gouvernance britanniqueconsacre deux pages et demi au sujet, le code français ne comporte pas moins de 19 pages sur la question, soit plus de la moitié du document ! Des principes de transparence, de modération et d’alignement avec les performances sur le long terme sont réaffirmés, précisés et amplifiés. La présence des administrateurs actionnaires salariés au sein des comités de rémunération est recommandée.

Surtout, à l’instar de bien d’autres pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne ou Australie), le principe du « say on pay » est officiellement adopté. Chaque année, l’Assemblée Générale sera invitée à donner son avis sur les « éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant mandataire social ». Ce vote qui porte uniquement sur la rémunération passée sera consultatif. En cas d’avis négatif, le conseil devra se prononcer publiquement sur les suites qu’il entendra y donner. Le conseil demeure donc souverain dans la fixation des rémunérations des dirigeants.

En ce qui concerne l’application du code, le nouveau texte s’attache à préciser la règle à présent bien établie d’«appliquer ou expliquer». On connaît ses défauts. Elle a souvent conduit les entreprises à adopter une approche « tick the box » et à présenter leurs choix d’une manière totalement artificielle. Tous les régulateurs et les observateurs déplorent cette situation qui n’est d’ailleurs pas propre à la France.

Pour sortir de cette logique, il faut d’abord que les bonnes pratiques fassent davantage l’objet d’un consensus. La concertation très large à laquelle ont procédé les auteurs de ce code avait comme objectif de lui donner plus de légitimité. Les associations d’investisseurs et d’administrateurs, les autorités publiques et des agences de conseil en vote ont ainsi été consultées pour la première fois.

Le concept appliquer-ou-expliquer fait l’objet de développements quant à la nature de l’explication qui doit être donnée en cas de non-application. Celle-ci doit être « compréhensible, pertinente et circonstanciée ». Elle doit présenter de manière convaincante les raisons pour lesquelles la bonne pratique n’est pas appliquée et si des approches alternatives ont été adoptées pour atteindre le même objectif que si elle l’avait été. Cette conception avait été récemment proposée par l'IFA.

Enfin, la grande innovation réside dans la création d’un Haut Comité de suivi de l’application du code auquel doivent adhérer toutes les entreprises qui s'en réclament. Composé de sept personnes (dont le mode de nomination n’est pas précisé), ce comité sera chargé d’assurer le suivi de l’application du code et de proposer les modifications qui s’imposeraient en fonction de l’évolution des pratiques tant en France qu’à l’étranger.

L’ensemble de ces mesures représentent des avancées significatives. Il ne reste qu’à espérer qu’elles seront appliquées de bonne foi par la majorité des entreprises pour éviter l’intrusion du législateur dans un domaine qui se prête difficilement à des mesures uniformes.

Outre le traitement de la question des rémunérations et de l’application du code, les auteurs ont également introduit diverses modifications d’inégale portée dont certaines pourraient même inquiéter les actionnaires.

Deux recommandations très positives doivent être soulignées. La première concerne l’information donnée au marché. On sait que celle-ci est loin d’être satisfaisante car elle est trop historique, volumineuse et technique pour aider les investisseurs à comprendre la capacité de l’entreprise à générer des cash-flows sur le long terme. Le nouveau code préconise donc une approche qui s’inspire en partie des réflexions menées actuellement en matière de reporting intégré. Le conseil doit veiller à ce qu’une information « pertinente, équilibrée et pédagogique » soit donnée aux investisseurs sur la stratégie de l’entreprise, son business model et ses perspectives à long terme.

Seconde mesure très positive car de nature à favoriser une implication plus importante des administrateurs : une limitation plus stricte du nombre des mandats. Le dirigeant mandataire social ne pourra pas accepter plus de deux mandats d’administrateur dans d’autres sociétés et les administrateurs ne pourront pas détenir plus de cinq mandats dans des sociétés cotées y compris étrangères.

Mais des modifications plus subtiles ont été introduites. Elles concernent le positionnement du conseil d’administration par rapport aux actionnaires, notamment minoritaires.

A l’origine du gouvernement d’entreprise, on trouve la nécessité de limiter ou de résoudre les conflits d’intérêts créés par la dissociation entre propriété et direction générale dans les entreprises cotées: comment garantir aux actionnaires qui abandonnent leur pouvoir de direction au profit de managers professionnels que la société sera gérée dans leur intérêt ?

Deux réponses sont classiquement apportées à cette question. D’une part, l’objectif de la firme doit être clairement de maximiser la valeur actionnariale. La règle financière numéro 1 qui en découle (et qui est universellement appliquée par les financiers) est celle de la valeur actuelle nette positive que doit présenter toute décision d'investissement. En maximisant la valeur de la firme, on privilégie nécessairement la valeur pour l'actionnaire (sauf si l'entreprise est en situation de détresse financière). D’autre part, un conseil d’administration est mis en place pour exercer une surveillance régulière de l’action des dirigeants et veiller à ce que le principe énoncé précédemment soit respecté.

La France n’a jamais complétement adopté l’idéologie actionnariale. Le concept concurrent ou complémentaire d’intérêt social est constamment avancé afin de limiter le pouvoir des marchés. Par ailleurs, la nature de l’actionnariat a une influence sur la problématique des conflits d’intérêt. Dans les pays comme les Etats-Unis où l’actionnariat est dispersé, la question qui est posée est celle de la surveillance de l’action du management. En France, la situation est différente car la plupart des sociétés sont contrôlées par un actionnaire dominant qui supervise effectivement la direction générale grâce à une large représentation au sein du conseil. Le véritable conflit d’intérêt potentiel est en réalité celui qui oppose le majoritaire et les minoritaires.

L’ancien code de gouvernance admettait une certaine coexistence de l’intérêt social et de l’intérêt actionnarial et reconnaissait que les actionnaires minoritaires puissent être dans une position plus vulnérable que les actionnaires contrôlants.

Le conseil était présenté comme une instance collégiale « représentant collectivement l’ensemble des actionnaires » (paragraphe 1.1). L’administrateur devait « se considérer comme le représentant de l’ensemble des actionnaires et se comporter comme tel dans l’exercice de ses fonctions sauf à engager sa responsabilité personnelle» (paragraphe 6.2). La nécessité de protéger les actionnaires minoritaires était reconnue implicitement dans le paragraphe 7.2.2 : « Plutôt que de tenter d’assurer une représentation spécifique des minoritaires, la meilleure formule consiste à nommer des administrateurs indépendants ».

La nouvelle version gomme toute allusion à l’intérêt actionnarial et met fortement l’accent sur l’intérêt social. Elle remplace la notion de « représentation de l’ensemble des actionnaires » du paragraphe 6.2 par l’affirmation du principe selon lequel que « chaque administrateur doit agir dans l’intérêt social de l’entreprise sauf à engager sa responsabilité personnelle ». Dans le paragraphe 1.1, l’idée de « représentation » de l’ensemble des actionnaires est remplacée par celle de mandat, expression plus rigoureuse juridiquement, mais qui atténue l'idée que les administrateurs devraient être alignés sur l'intérêt des actionnaires.

En ce qui concerne les actionnaires minoritaires, le paragraphe 7.2.2. qui attribuait aux administrateurs indépendants un rôle spécifique en la matière est purement et simplement supprimé. L'idée même que des actionnaires minoritaires puissent être représentés au sein du conseil est récusée sous prétexte que celui-ci risquerait de devenir "le champ clos d'affrontement d'intérêts particuliers". La prévention des conflits d’intérêt est à présent confiée à la sagesse … de l’actionnaire majoritaire qui assume une "responsabilité propre et distincte du conseil" à l’égard des actionnaires minoritaires. Cette approche est en contradiction avec la réglementation boursière qui prévoit des mécanismaes pour protéger les actionnaires minoritaires (comme par exemple l'intervention d'un expert indépendant dans certaines circonstances).

Cet affaiblissement de « l’intérêt commun des actionnaires » (qui est défini comme l'objet de toute société par l’article 1833 du code civil) est inquiétante. La notion d’ « intérêt social » est une notion à géométrie totalement variable, fonction des choix propres de celui qui l’invoque. Mal employée, elle laisse la porte ouverte à toutes les iniquités tant dans les décisions de l’entreprise que dans les contestations judiciaires. Cette conception qui plaira assurément aux tenants de la valeur partenariale risque d’inquiéter les investisseurs dont les intérêts peuvent être mis de coté pour des raisons "supérieures" imprévisibles et indéterminées.

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