L'administrateur référent, atout d'une gouvernance moderne 

Pour les investisseurs, l'administrateur référent peut être une garantie de bonne gouvernance. Encore faut-il bien s'entendre sur ses responsabilités et ses moyens

La pérennité et la prospérité de l’entreprise dépendent de sa gouvernance et, plus particulièrement, de ce qui en constitue le cœur, à savoir le conseil d’administration. N’est-ce pas lui qui détermine les grandes orientations de la société, désigne ses dirigeants et contrôle leur gestion ? Ses décisions (ou son inaction) sont porteuses des conséquences les plus lourdes pour l’entreprise, ses employés, ses actionnaires et d’une manière générale pour toutes ses parties prenantes. En cas d’échec flagrant, les administrateurs ou les dirigeants sont donc logiquement désignés comme boucs émissaires. 

Sont-ils pour autant incompétents ? De mauvaises décisions peuvent être prises par de très bons dirigeants animés des meilleures intentions. Les sciences comportementales nous ont en effet appris que nous sommes tous victimes de biais cognitifs systématiques. Leur prévisibilité et leur (re)connaissance ne les rendent pas plus évitables. Mais lLa bonne nouvelle est qu’elles sont gérables si elles sont encadrées par un processus décisionnel adapté.

Malheureusement, les questions de fonctionnement processus décisionnel ne fonait pas toujours l’objet d’une réflexion structurée. L’application stricte des recommandations des codes de gouvernance semble suffire. Les sociétés se contentent de mettre en place une organisation de gouvernance sans se préoccuper de la manière dont elle doit fonctionner. Les formulations passe-partout utilisées dans les rapports annuels pour décrire le conseil, ses comités et leurs travaux en sont une illustration manifeste.

Frustrés par cette situation et conscients de leur responsabilité fiduciaire, beaucoup d’investisseurs professionnels profitent du dialogue actionnarial qui précède les Assemblées générales pour mieux appréhender le fonctionnement réel des conseils. Les résolutions qui leur sont présentées sont autant d’occasions d’essayer de comprendre comment ceux-ci travaillent concrètement. D’où leur insistance pour avoir un dialogue direct avec des administrateurs.

C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier la montée en puissance des administrateurs référents en France sur le modèle du « Senior Independent director » anglais : 57% des sociétés du SBF 120 en sont pourvues, la plupart étant des administrateurs indépendants dans des conseils ayant opté pour l’unicité des fonctions ou dont le Président non exécutif n’est pas indépendant. 

Décrits dans le règlement intérieur, leurs missions, pouvoirs et prérogatives sont variables et touchent essentiellement :  

  • Au fonctionnement de la gouvernance : prévention des conflits d’intérêt, présidence du conseil en cas d’empêchement du Président, succession du Président, point de contact des administrateurs indépendants ; 
  • Au dialogue avec les grands investisseurs institutionnels notamment dans le cadre de la préparation de l’Assemblée générale pour répondre à leurs questions sur des sujets de gouvernance (composition du conseil, rémunération des dirigeants, autorisations financières …), sauf si le Président ou le CEO préfèrent assumer directement cette responsabilité. 

Compte tenu de son caractère très récent, cette fonction est encore exercée avec une certaine réserve. Mais la pression des investisseurs, les encouragements des régulateurs et le sens des responsabilités des administrateurs concernés les placent dans une situation idéale pour initier une réflexion structurée sur la raison d’être du Conseil et le fonctionnement de la gouvernance dans leur entreprise.

Ils pourraient ainsi utilement s’investir dans cinq domaines essentiels : 

  1. L’évaluation du conseil : menée classiquement par des experts en ressources humaines, elle est plus davantage une enquête de satisfaction qu’une véritable évaluation de l’efficacité de la prise de décision du conseil et de son adéquation aux attentes des investisseurs. Une approche moderne consisterait à sortir de cette logique autocentrée pour faire de l’évaluation un véritable outil d’identification des dysfonctionnements dans la prise de décision et de validation des mesures correctives. 
  2. L’architecture de la gouvernance : le fonctionnement de la gouvernance doit être pensé à partir de l’interaction de trois champs d’analyse. Le premier concerne les structures (statuts, composition, diversité, comités, indépendance…). Le second traite des processus de décision (information, préparation, coordination des comités, délibérations, sélection des administrateurs, rémunération des dirigeants). Le troisième est relatif aux priorités que s’assignent les conseils (théorie stratégique, allocation du capital, gestion des risques, stratégies à l’égard des parties prenantes …). L’adaptation permanente de cette architecture aux spécificités actionnariales et stratégiques est essentielle pour façonner une gouvernance efficace. 
  3. Les décisions transformantes : une attention toute particulière doit être accordée aux délibérations les plus critiques du conseil. Il existe de nombreuses techniques qui permettent de limiter les risques de biais comportementaux en organisant le débat pour que toutes les options et les risques soient examinés et que l’intelligence collective du conseil soit pleinement exploitée. L’administrateur référent pourrait non seulement s’assurer que le conseil utilise toutes ces techniques, mais aussi prendre part à l’animation des débats soit aux côtés, soit à la place du Président, pour s’assurer que l’orchestration du dialogue soit optimale. 
  4. L’évaluation du Président et sa succession : si l’administrateur référent est le stratège de la gouvernance de l’entreprise, c’est au Président que revient le rôle de son animation. C’est de lui dont dépend la mise en œuvre effective des processus proposés par l’administrateur référent. À ce titre, il est logique que ce dernier puisse porter un jugement sur son action et, en lien avec le comité de nomination, participe à son évaluation et à sa succession. 
  5. La gestion des crises de gouvernance : à l’instar de ce qui est attendu du Senior Independent director, l’administrateur référent peut enfin jouer un rôle essentiel en cas de dysfonctionnement grave du système de gouvernance (mésentente forte ou collusion entre le Président et le directeur général, désaccords profonds au sein du conseil sur certaines options stratégiques vitales, inquiétudes ou critiques formulées par les investisseurs sans réponse satisfaisante de la part des dirigeants, conflits d’intérêts patents …). 

Les qualités requises pour mener à bien cette fonction sont l’indépendance, l’autorité naturelle, l’entregent et la diplomatie, l’empathie (notamment à l’égard des investisseurs) et bien sûr une connaissance des bonnes pratiques de gouvernance et des techniques de prise de décision. Son implication dans le dialogue actionnarial suppose qu’il ait aussi développé une connaissance holistique de l’entreprise. Bref, c’est une perle rare à trouver pour bâtir une gouvernance moderne.

Article publié dans l'ouvrage "100 témoignages sur la gouvernance d'entreprise"