Immatériels et valeur
En association avec l'observatoire de l'Immatériel (sponsorisé par Deloitte) et les étudiants de SciencesPo, le site EasyBourse consacre une rubrique de communication financière à l'économie de l'immatériel et ses enjeux.
Voici l'interview que j'avais donné en 2011 sur ces sujets qui continuent de mobiliser les entreprises et leurs directions financières.
Quelle serait votre définition des actifs immatériels ? Quel serait le plus important à vos yeux ?
Les actifs immatériels sont des actifs intangibles participant à la création de valeur d’une entreprise ou d’une institution : toutefois, l’immatériel est un magma de facteurs dont les entreprises élaborent l’alchimie. Le capital humain est à mes yeux l’actif Immatériel le plus important Car l’Homme est au cœur de tout projet d’entreprise : les employés et leur savoir-faire, bien sûr, mais aussi la capacité de l’entreprise à les faire travailler ensemble sur des projets, là où entre en jeu le facteur structure organisationnelle, trop souvent négligé dans les analyses. Cette structure organisationnelle traduit l’alchimie unique par laquelle une entreprise parvient à fédérer ses équipes autour de son projet, à mettre sa force de travail en ligne avec sa création de valeur. Cela passe par une éthique partagée, l’adhésion à des principes forts communs, . Parmi les leviers de développement du capital humain, la formation reste l’élément central, comme l’a démontré la théorie économique des 30 dernières années (Lucas etc). Par ailleurs, la gouvernance, les relations avec les fournisseurs et les clients sont désormais de véritables facteurs à prendre en compte dans l’analyse financière. Le volume croissant des rapports annuels est à rapprocher de normes qualitatives de plus en plus contraignantes sur l’impact environnemental, la corporate governance entre autres !. Mais au bout du compte, ce sont bien les hommes qui décident comment orienter les actions de l’entreprise et la représentent au travers de leurs comportements.
Vous avez une expérience professionnelle très riche dans l’univers de la finance d’entreprise. Constatez vous des différences entre les approches sur l’immatériel des différents corps de métier de cet univers (auditeurs, banquiers d’affaires etc) ?
En effet, l’univers de la finance a des approches très différentes en matière de prise en compte des actifs immatériels. Pour l’évaluateur, les actifs immatériels représentent la différence entre la valeur de l’entreprise et ses actifs tangibles, matériels. Si l’entreprise vaut davantage que son actif tangible, il existe un value gap entre valeur de marché et valeur comptable qui exprime probablement son avantage concurrentiel et plus largement s’explique par l’immatériel. Ces actifs restent très spécifiques à l’entreprise : ils traduisent son business model et ses savoir-faire. . Ils diffèrent donc selon les entreprises. C’est ce qui fait la richesse de la profession d’évaluateur.
Les auditeurs quant à eux sont amenés à intégrer de manière croissante les actifs immatériels dans leurs travaux. Le principe de « juste valeur » en comptabilité implique une analyse des flux futurs. L’auditeur, dans sa revue de la juste valeur et notamment du niveau de dépréciation éventuelle, doit se pencher sur les projections de l’entreprise ce qui, d’une certaine manière, le conduit à s’intéresser aux actifs immatériels , par exemple, en étudiant la base de clientèle.
Le banquier d’affaire a une attitude plus en retrait vis-à-vis de l’entreprise et de ses actifs immatériels: son objectif est de réaliser au mieux la transaction. La banque d’affaire réalise une approche par les résultats financiers, les multiples de transaction. Elle ne joue pas un rôle de conseiller stratégique, ne conduit pas de diagnostic approfondi de la compatibilité entre les valeurs, la culture des entreprises parties à la transaction Ainsi, l’échec de certaines opérations de fusion-acquisition peut s’expliquer par l’Immatériel : les équipes, les valeurs, les organisations ne parviennent pas à fonctionner ensemble. En découlent des Valeurs Actuelles Nettes espérées qui ne sont pas au rendez-vous, une intégration des employés difficile etc. Encore une fois on retrouve le rôle du capital humain, facteur fondamental de la réussite d’une opération de fusion-acquisition. Les actifs immatériels sont à prendre en considération autant que les simples synergies financières et industrielles.
Quelle est votre opinion sur l’intégration des actifs immatériels dans le monde des affaires en France ?
Ça n’a pas été un phénomène spontané. Les entreprises sont poussées par les marchés, les investisseurs. Rappelons-nous les propos de M. Viénot dans les Echos le 9 décembre 1998 : « La pression la plus forte en faveur de la transparence,d’une meilleure information est venue des fonds de pension anglo-saxon, très exigeants dans ces domaines ». Ce n’est pas un phénomène de mode, comme les entreprises ont pu le penser au début, mais bien un trend structurel de nos économies. Néanmoins, pour une meilleure intégration de l’immatériel, il serait nécessaire d’inciter à travers des guidances voire de contraindre un peu les entreprises avec le smart power d’une articulation entre soft law et hard law.
Il ne faut pas oublier que l’Immatériel pourrait représenter une source supplémentaire de coût pour les entreprises : nouvelles contraintes de compliance avec menaces de sanctions, etc… Dans les conseils d’administration, les administrateurs n’ont pas les pouvoirs suffisants et nécessaires. Cependant, je ne discerne pas réellement un engagement spontané dans l’Hexagone : le management cherche davantage à cocher des cases de compliance que de changer sa façon d’être. Après une série de progrès notables dans les années 2003-2008, la crise a favorisé le retour aux mauvaises pratiques sous prétexte de pouvoir piloter l’entreprise plus efficacement… Mais la France est globalement sur le bon chemin.
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