Evaluateur : une subjectivité à encadrer
Si l’on en croit le Gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer : « A bien des égards, la crise actuelle est une crise de valorisation ».
Dressé en 2008, ce constat un peu excessif qui visait avant tout les instruments financiers illustre l’inconfort des acteurs économiques face aux concepts de valeur et d’évaluation (on préférera le terme évaluation à valorisation car valoriser veut dire « augmenter la valeur »).
La centralité de l’évaluation dans le débat s’explique par la conjonction de deux évènements :
- L’émergence de la juste valeur dans les normes comptables qui a été comprise par tous les acteurs économiques comme équivalente à la valeur de marché
- Les dysfonctionnements profonds des marchés qui ont été observés lors de la crise financière.
Si l’on pense que le thermomètre du marché est essentiel à l’évaluation des actifs, on est nécessairement perturbé lorsque le thermomètre ne fonctionne plus ou fonctionne mal. Pragmatiques, les régulateurs et plus généralement tous les acteurs impliqués dans l’élaboration des comptes ont très vite accepté que les actifs financiers illiquides soient évalués sur la base de modèles. Cette approche est nécessairement étendue à la plupart des actifs non financiers qui ne font pas l’objet d’une cotation et pour lesquels il est impossible de trouver des actifs similaires cotés. Ainsi, dans la plupart des cas où une évaluation est nécessaire pour l’élaboration de l’information comptable et financière, on est conduit à substituer la subjectivité de l’évaluateur à « l’objectivité » supposée du marché (le cours d’un instrument financier n’est-il pas le produit de l’interaction d’investisseurs subjectifs dont les comportements ne sont pas toujours rationnels ?).
Dans la mesure où les résultats de ces évaluations servent à informer le marché, il est essentiel que la subjectivité de l’évaluateur qui est naturelle soit encadrée et que ses raisonnements fassent l’objet d’une information utile et sincère à l’égard de tous ceux qui vont utiliser ses conclusions.
La difficulté réside dans le fait que, à la différence par exemple des commissaires aux comptes, la profession d’évaluateur n’existe pas : il n’y a pas de règles professionnelles ou déontologiques, d’exigence de compétence ou de diplôme qui soit universellement ou même nationalement reconnu. Chacun, compétent ou incompétent, honnête ou indélicat, indépendant ou corrompu peut exercer cette activité. S’il existe un certain consensus sur la façon de réaliser une évaluation (grâce notamment aux normes comptables qui ont empiété sur le terrain de l’évaluation), la mise en œuvre demeure hétérogène.
Il était donc temps qu’un organisme international se mette en place pour traiter de la question des standards internationaux d’évaluation et pour favoriser l’émergence de règles professionnelles. C’est dans cet esprit que l’International Valuation Standard Council (IVSC) a été créé en 2008 pour succéder à un organisme dont l’origine remonte à 1981 mais qui était focalisé sur les standards d’évaluation immobilière. Le nouvel IVSC a comme objectif de mettre en place des standards d’évaluation applicables internationalement à tous les types d’actifs et dans toutes les circonstances. Présidé par Michel Prada, il a acquis en quelque mois une visibilité remarquable auprès des régulateurs comptables et boursiers, signe de l’intensité du besoin éprouvé par les marchés d’avoir une référence dans ce domaine encore largement en friche.
L’IVSC a créé deux « boards » distincts :
- le Standard Board chargé de définir les Standards : un projet d’IVS (International Valuation Standards) a été présenté au public en 2010. A la suite des commentaires reçus, le texte définitif sera publié dans les semaines qui viennent.
- le Professional Board chargé de promouvoir les bonnes pratiques professionnelles et de favoriser l’émergence d’une véritable profession d’évaluateurs. Un certain nombre de Technical Information Paper (TIP) ont d’ores et déjà été présentés. Il s’agit de documents dont l’application n’est pas obligatoire, mais qui constituent un recueil de bonnes pratiques sur des sujets clés de l’évaluation (DCF, approche par les Coûts, Actifs immatériels, Primes et décotes, Attestations d’équité …). Par ailleurs, un code d’éthique a été élaboré, et une réflexion sur la profession (définition, compétence, formation…) a été entamée.
En identifiant ou en proposant de bonnes pratiques en matière d’évaluation, l’IVSC favorise la cohérence des approches, contribue à une meilleure information des marchés et une bonne gouvernance. Son succès reposera sur le pragmatisme de ses initiatives, sur le sens des responsabilités des évaluateurs et sur la pression que régulateurs et émetteurs exerceront sur ces derniers pour qu’ils inscrivent leurs missions dans le cadre de ces standards. La subjectivité de l’évaluateur est naturelle. Son encadrement est salutaire.
Post publié conjointement sur le blog de la DFCG et sur Easybourse
Rappel : l'auteur de ce post est Président de l'IVPB.