Comment prendre en compte le facteur humain dans les évaluations financières ? (1ère partie)
L’une des critiques les plus constantes adressées au marché financier est qu’il ne tiendrait pas compte du facteur humain.
Pire, obnubilés par les résultats financiers à court terme, les investisseurs encourageraient les « licenciements boursiers ». Le capital humain serait ainsi sacrifié sur l’autel de la valeur actionnariale.
Cette vision s’est renforcée à la suite de la crise financière que nous traversons et s’est particulièrement incarnée dans la critique selon laquelle les marchés seraient incapables de prendre en compte le long terme (voir par exemple la consultation lancée par le Département BIS britannique : «a long term focus for corporate britain »). Il est vrai que le développement de l’ « algorithmic trading » vient mettre de l’eau au moulin de la critique même si, techniquement, il ne faut pas s’en alarmer (voir l’article de Bertrand Jacquillat : « le court termisme n’est pas l’ennemi »). Elle s’est exprimée une fois de plus dans le programme du parti socialiste qui préconise de lutter contre les licenciements boursiers. Cette position aussi idéologique que celle qui met l’actionnaire au pinacle n’est pas vérifiée dans la réalité.
Il faut tout d’abord rappeler que la valeur d’une entreprise réside pour l’essentiel dans ses flux de liquidité futurs. Les dividendes de l’année sont insuffisants pour expliquer les niveaux de valorisation des actions. Le marché s’inscrit forcément dans une perspective à long terme de croissance du cours (les actionnaires attendent avant tout des plus-values, même si les transactions s’enchaînent à court terme.
Lorsque le ratio capitalisation boursière / fonds propres comptables d’une entreprise est supérieur à 1 (ce qui est le cas pour la majorité des entreprises non financières), c’est le signe que les investisseurs pensent qu’elle est capable de créer de la valeur à long terme. En attribuant une valeur de marché supérieure à la valeur comptable, les investisseurs prennent en compte les actifs incorporels de l’entreprise. Si l’on ajoute à cette « survaleur », ou goodwill les actifs intangibles effectivement comptabilisés, on a une image complète des actifs incorporels de l’entreprise.
Une autre segmentation de ce capital immatériel peut être faite en distinguant le capital humain, du capital organisationnel et du capital relationnel. Mais soyons réalistes ! Il est très difficile de séparer tous ces concepts. Derrière ces différentes rubriques on trouve toujours les hommes de l’entreprise. Ce sont eux qui sont au cœur des actifs intangibles. Ce sont eux qui sont chargés par les actionnaires de faire fructifier leur patrimoine. Et comme l’a dit Pierre Noël Giraud, la finance est un « commerce de promesses » : la confiance est essentielle, et elle est inspirée avant tout par les hommes de l’entreprise. Bref, il est indéniable que le marché financier tient compte du facteur humain.
Les investisseurs professionnels l’ont d’ailleurs bien compris. C’est ce qui explique le dynamisme de l’investissement socialement responsable (ISR) dont l’un des critères est la performance sociale. Dans un rapport publié en 2008, Europlace définit l’ISR comme :
« tout mode de gestion, processus d’investissement ou utilisation de ses droits et de son pouvoir d’influence en tant que détenteur d’actifs (vote, questions, dialogue avec l’émetteur ou engagement de démarches plus formalisées) qui tente d’intégrer les dimensions extra-financières dans les évaluations des entreprises afin d’appréhender leurs risques ou opportunités sociales, environnementales et en matière de gouvernance ».
En France, Novethic évalue le montant des fonds spécifiquement ISR à 68 milliards d’euros à la fin 2010 (voir l'enquête annuelle 2010) soit une croissance de 35% par rapport à 2009, et à 2500 milliards pris au sens large (intégration ESG – Environnement, Social, Gouvernance). Cette dynamique doit beaucoup à l’impulsion des associations professionnelles (voir le code de transparence de l’AFG), à la sensibilité des clients à cette dimension (selon un rapport récent, 60% des investisseurs institutionnels ont reçu des demandes spécifiques de la part de leur Limited Partners) et au recours croissant à la notation sociale.
Selon le même rapport précité, la pratique ESG des investisseurs en capital a considérablement évolué. La prise en compte des critères ESG se multiplie et des outils spécifiques d’enquête et de contrôle se mettent en place (plus à l’occasion de l’investissement que du suivi de la participation) avec un souci de gestion des risques. Axa IM qui a développé une dizaine d’indicateurs pour suivre la capacité du management à exécuter sa stratégie offre un bon exemple de ces nouvelles pratiques.
Mais, bien qu’avéré, ce lien entre performance sociale et performance actionnariale reste contesté car la recherche académique n’est pas toujours conclusive. Et les interprétations sur le sens de la relation divergent : est-ce la performance sociale qui permet la performance actionnariale ? est-ce l’inverse ? ou bien, y a-t-il une synergie entre les deux ?
Néanmoins, une compilation des études académiques semble donner l’avantage à l’interprétation selon laquelle la performance sociale sert la performance financière. Un article publié en 2003 par Margolis et Walsh (Misery loves companies: rethinking social initiatives by business) récence les 127 études (réalisées entre 1972 et 2002) qui ont étudié les relations entre performance sociale et performance financière. Sur les 109 qui traitaient la performance sociale comme une variable indépendante, 54 ont conclu à une relation positive et seulement 7 a une relation négative, 28 à une absence de lien et 20 à des conclusions mitigées. La performance sociale a été traitée comme une variable dépendante dans 22 études. Pour la majorité d’entre elles (16) elles concluent à une relation positive.
De même, si l’on en croit une étude réalisée par l’Edhec en 2008, « on ne dispose actuellement pas d’une base suffisamment solide pour pouvoir conclure que l’ISR génère une surperformance ». Selon cette étude, la rentabilité de l’ISR ne semble pas supérieure à celle du marché. De janvier 2002 à décembre 2007, les rentabilités des indices ISR pour la France (5,82%), la zone Euro (6%) et l’Europe (4,71%) sont inférieurs à ceux de l’indice SBF 250 (8,89%), au DJ Euro Stoxx (8,17%) et au DJ Stoxx (6,93%). Seul la rentabilité d’indice ISR Monde dépasse le MSCI World. Et ce, malgré un risque comparable ou supérieur.
Ce constat mitigé ne doit cependant pas décourager tous ceux qui sont convaincus que la valeur créée dépend avant tout des hommes. Le défi consiste à intégrer de manière structurée cette dimension dans l’évaluation et la communication financière. ce sujet sera traité dans la seconde partie de ce billet.
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