Les codes de bonne gouvernance :
progrès ou illusion ?

Le débat sur la gouvernance s’est très largement focalisé ces dernières années sur la mise en place et l’application de codes de bonnes pratiques de gouvernement d’entreprise.

 On a assisté à une véritable prolifération de ces codes puisque l’ECGI n’en recense pas moins de 180 ! Les entreprises sont invitées à se positionner par rapport au code en vigueur dans leur pays d’origine dans une logique de « comply or explain ». Les agences de notation spécialisées s’appuient sur ces documents pour donner des conseils ou des consignes de votes aux actionnaires.

Ces codes qui sont devenus un élément essentiel car structurant de la gouvernance des entreprises font l’objet d’un petit livre très intéressant (« Les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise ») écrit par Peter Wirtz, professeur de finance à l’Université Lumière-Lyon-II.

Les principales idées de cet ouvrage sont les suivantes :

  1. Tous ces codes sont largement influencés par la théorie de l’agence. Leur contenu est essentiellement disciplinaire. Ils traitent avant tout des pouvoirs du conseil d’administration. Ils proposent des solutions pour encadrer l’action des dirigeants et contenir leurs éventuels abus de pouvoirs.
  2. Ils sont d’inspiration anglo-saxonne en raison de la culture de leurs promoteurs (les investisseurs américains et anglais). Le patronat français les a adoptés car il a vu une opportunité d’attirer des capitaux étrangers. A noter que l’auteur procède de manière assez originale à une analyse sémantique de ces codes. 
  3. L’influence de ces codes est tout à fait considérable puisque la législation et les autorités boursières la reprennent largement à leur compte. La presse et les organismes professionnels comme l’IFA sont des vecteurs supplémentaires de cette influence. 
  4. Or, la gouvernance d’une entreprise ne se réduit pas à l’organisation et la composition du conseil d’administration. Elle est en réalité un système complexe qui met en jeu un grand nombre de mécanismes complémentaires ou substituables. L’auteur présente d’ailleurs une typologie intéressante de ces mécanismes (spécifiques/ non spécifiques ; intentionnels / spontanés)
  5. Les études sur les liens entre gouvernance et valeur ne sont pas parvenues à des éléments vraiment conclusifs car  :
    • Elles se focalisent sur des variables comme la composition des conseils mais elles négligent leur fonctionnement réel ;
    • Elles étudient l’impact d’un seul mécanisme dans tenir compte des effets de substitution ou de complémentarité  
    • Elles se fondent sur les codes dont la représentation des processus de création de valeur est partielle (réduction des coûts d’agence).
  6. Les mécanismes disciplinaires ont un impact sur la destruction de valeur plus que sur sa création. Il s’agit de limiter les coûts d’agence et de gérer les conflits d’intérêts : la logique est celle d’éviter la destruction de valeur et de régler la répartition de la valeur crée. La contribution des codes à la création de valeur est donc limitée.
  7. Si l’on veut utiliser la gouvernance comme un vecteur de création de valeur, il faut élargir son champ. L’entreprise, « au delà d’un nœud de contrats établis entre acteurs aux intérêts divergents (est) un réceptacle de connaissances et de compétences particulières »
    La fonction de la direction d’une entreprise est de déceler les opportunités créatrices de valeur. De ce point de vue, «les membres du conseil d’administration sont susceptibles de contribuer à l’émergence des opportunités de création de valeur, soit de façon indirecte, par leurs questionnements critiques et constructifs, soit de façon plus directe, par l’apport de connaissance complémentaires à la vision du dirigeant. »
  8. L’auteur défend donc la thèse que la théorie disciplinaire et cognitive de la création de valeur sont complémentaires, qu’il est possible de les articuler. Les propositions sont donc de favoriser la compétence des administrateurs (au détriment de leur indépendance) et de se focaliser sur la dynamique de fonctionnement des conseils
  9. Il reconnait cependant que le système à mettre en place doit être fonction du degré de maturité de l’entreprise. Une société jeune aura probablement plus besoin d’un conseil d’administration ayant avant tout une approche cognitive que la société mûre, coté, dont les opportunités de croissance sont plus limitées et pour laquelle l’attention doit être davantage portée sur les risques d’agence. 
  10. On ne peut qu’approuver Peter Wirtz lorsqu’il écrit que : 

    « la meilleure des pratiques de gouvernance relève davantage d’un équilibre contingent que de l’application standardisée et routinière des codes de bonne conduite »

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