La gouvernance :
réducteur de risque ou facteur de progrès ?

Il est encore trop tôt pour savoir quelles sont les initiatives que l’Union européenne va prendre dans les mois et les années qui viennent dans le domaine de la gouvernance d’entreprise, mais on peut s’attendre à quelques mesures structurantes. 

Le sujet n’est-il pas identifié dans le livre vert de Michel Barnier« The EU corporate governance Framework » comme un « élément essentiel » de la confiance des européens à l’égard du marché unique ?

La consultation lancée sur ce document vient juste de s’achever. Elle abordait un très grand nombre de thèmes répartis en trois chapitres placés par la Commission « au cœur » de la gouvernance : le conseil d’administration, l’implication des actionnaires et l’application de l’approche « comply or explain ».

Si ce document a le mérite d’avoir très largement ouvert le débat, il comporte deux lacunes importantes :

1. La préconisation aveugle de pratiques dont l’efficacité n’a pas toujours été démontrée par la recherche académique :

Grâce à l’action militante de grands investisseurs anglo-saxons (comme Calpers) relayées par les agences de proxy, la gouvernance d’entreprise a pris corps autour de « bonnes pratiques » convergentes internationalement. Quelque soit sa taille, sa nationalité, son secteur, les caractéristiques de son actionnariat, son histoire ou sa culture, la société cotée est invitée à respecter certains principes : séparation du Président et du Directeur général ou désignation d’un « lead director », diversité du recrutement, indépendance des administrateurs, limitation des mandats, etc…

Mais la recherche académique qui est très prolixe sur ces questions (plus de 5000 documents sur le site SSRN), est loin d’être affirmative sur les bénéfices supposés de ces principes d’organisation. On en trouvera une excellente revue dans un livre qui vient d’être publié par David Larcker et Brian Tayan (« Corporate governance matters » (vidéo de présentation). Si les études convergent sur quelques questions comme les bienfaits de l’indépendance des comités, de la présence d’experts financiers ou les dangers du cumul des mandats, elles ne sont pas conclusives sur certains thèmes tabous comme l’indépendance du Président ou des administrateurs, l’existence d’un administrateur référent, la diversité ou la féminisation des conseils.

Il ne s’agit pas de remettre en cause systématiquement ces « bonnes » pratiques sous prétexte que leurs vertus ne sont pas démontrées, mais il faut les mettre en place (ou suivre une autre voie) après une véritable réflexion qui doit être expliquée clairement aux actionnaires.

2. une focalisation exagérée sur l’administrateur-contrôleur au détriment de l’administrateur-conseil de la direction générale

La gouvernance d’entreprise est née de la théorie de l’agence qui part du principe que le dirigeant d’entreprise non actionnaire doit être strictement contrôlé par ses mandants afin d’éviter qu’il ne les lèse. Nos conseils d’administration ont donc une vocation essentiellement disciplinaire. Cette approche a été renforcée par les crises successives qui ont toutes montré l’insuffisance des réglementations antérieures et ont incité les régulateurs à augmenter sans cesse le pouvoir de contrôle des conseils. C’est ainsi que depuis une dizaine d’années le débat s’est très largement focalisé sur la gestion des risques. La création obligatoire d’un comité d’audit dont la compétence est strictement encadrée et limitée au suivi « du processus d’élaboration des comptes » et « de l’efficacité des processus de contrôle interne et de contrôle des risques » est une illustration de cette tendance lourde.

Le rôle de « conseil » du conseil d’administration est ainsi progressivement occulté bien qu’il découle clairement des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi. Or, le conseil n’est pas seulement chargé d’appuyer sur le frein. Il doit aussi contribuer positivement au développement de l’entreprise.

Une étude sur « The costs of intense board monitoring » (Olubunmi Faleye, Rani Hoitash, Udi Hoitash) a montré que si les mesures habituellement prises pour mieux contrôler les dirigeants sont généralement efficaces (changement des dirigeants plus sensible aux performances des entreprises, augmentation plus raisonnable des rémunérations, moins de manipulations de résultats …), elles ont un coût pour les entreprises les plus complexes: des conseils stratégiques moins nombreux et pertinents et une myopie managériale qui se traduisent par des performances moins bonnes en matière de fusions acquisitions et d’innovation et, au total, une érosion de la position concurrentielle de l’entreprise et une destruction de valeur actionnariale.

A l’heure où nos économies sont à la recherche d’une croissance plus forte, les régulateurs pourraient peut être se demander non pas comment nos conseils peuvent éviter la prochaine crise, mais plutôt comment ils peuvent contribuer à la relance de nos entreprises.

Cet article a été publié dans La Tribune du 3 août 2011 (avec une erreur dans le titre ... :-(( )

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