Fairness opinions : la bienveillance coupable du juge américain

Le 20 février dernier, le Seventh Circuit a rendu une décision importante qui concerne la pratique des fairness opinions aux Etats-Unis.

Le cas d’espèce concernait l'acquisition de Starbelly par la société Ha-Lo pour laquelle le Crédit Suisse a rendu le 17 janvier 2000 une opinion au conseil d'Ha-Lo attestant du caractère équitable du point de vue financier de l’offre que celle-ci s'apprêtait à faire aux actionnaires de Starbelly. L’opération a été finalisée en avril 2000 après un vote favorable des actionnaires de Ha-Lo. A la suite des pertes importantes et continuelles de Starbelly (et du prix excessif qui avait été payé), Ha-Lo a fait faillite. Le trust chargé de la liquidation a donc attaqué le Crédit Suisse pour avoir rendu une attestation d'équité entachée d'une faute lourde pour deux raisons :

“According to the Trust, CSFB (a) should have relied on Ernst & Young’s evaluation of Starbelly.com’s prospects, rather than the projections furnished by HA-LO’s board and officers, and (b) should have withdrawn its opinion, or at least prepared a new one, after the market price of many dot-com stocks began to decline” (voir la decision du juge Easterbrook que l’on peut trouver sur le site du Seventh Circuit Court of Appeals en saisissant le numéro de l’affaire : 06-3842)

En effet, Ha-Lo avait chargé Ernst & Young d’examiner le business plan de la cible. Très rapidement, il est apparu que celui-ci ne pourrait être tenu et que les projections étaient totalement irréalistes. Bien qu’ayant eu connaissance des premières conclusions d'Ernst & Young, la banque s’est reposée uniquement sur les projections fournies par l’acquéreur. Par ailleurs, au moment où l’offre a été présentée aux actionnaires, la banque n’a pas jugé nécessaire de mettre à jour son attestation d’équité alors que celle-ci était une des pièces importantes présentées aux actionnaires pour les convaincre de voter en faveur de l’offre.

Dans cette décision, le juge refuse de considérer que le Crédit Suisse a commis une faute lourde. Se reposant sur une lecture stricte du contrat, il conclut :

“The engagement contract says that CSFB has no duty to double check the predictions about Starbelly.com’s future revenues and no duty to update its opinion. CSFB did what it was hired to do. The Trust’s belief that CSFB should have been hired to do something different is not a basis of liability”.

Autant on peut accepter le fait qu’une banque ne soit pas obligée d’émettre une nouvelle opinion si les circonstances ont changé entre le moment où celle-ci a été émise et la date à laquelle elle est utilisée dans la transaction (sauf bien sûr si la lettre d’engagement prévoit une « bring down letter »), autant il est regrettable que l’on accepte qu’une banque puisse émettre une opinion sur la base de projections manifestement irréalistes.

Certes, la nouvelle réglementation de la FINRA (voir mon billet sur le sujet) ) exige simplement que l’attestateur d’équité indique s’il a vérifié de manière indépendante les informations qui lui ont été remises par l’entreprise (ce qui permet de ne pas le faire à partir du moment où on l’indique clairement au public), mais dans le cas d’espèce, la banque sait pertinemment que les bases de son évaluation sont erronées. Pour autant elle délivre son opinion comme si de rien n’était.

Le juge Easterbrook rend un bien mauvais service au marché et aux investisseurs en acceptant que les émetteurs d’attestation d’équité aux Etats-unis puissent s’abriter derrière leur lettre d’engagement pour ne pas manifester un minimum de conscience professionnelle :

“CSFB is fulfilling a market demand. The possibility that judges, regulators, or legislators have caused “too much demand” for a particular service, inducing firms to buy something worth less than its price, is no reason to mulct the service’s provider”.

On ne peut que se féliciter que la France ait pris une approche inverse en exigeant que les experts independants exercent une analyse critique des projections du management et de ses conseils (voir le rapport Naulot).

A lire aussi

SUIVEZ MOI SUR TWITTER (JF_REROLLE)

SUIVEZ MOI SUR TWITTER (GOUVERNANCEFIN)