Comment prendre en compte le facteur humain dans les évaluations financières ? (2de Partie)

Tout indique que le marché financier prend en compte le facteur humain (voir mon post précédent). 

Mais la façon dont il le fait n’est pas très claire comme l’illustre une recherche académique dont les conclusions sont souvent contradictoires. Il n’est donc pas étonnant que les évaluateurs éprouvent un certain inconfort face à cette problématique. En effet, les méthodes d’évaluation (qui se raccrochent aux conventions financières en vigueur) visent à imiter autant que faire se peut le fonctionnement du marché. L’absence d’un lien clair rend la tâche de l’évaluateur complexe.

Que se soit en US Gaap ou en IFRS les normes comptables ne permettent pas la reconnaissance d’une « assembled workforce » (voir le paragraphe B37 de IFRS 3):

« The acquirer subsumes into goodwill the value of an acquired intangible asset that is not identifiable as of the acquisition date. For example, an acquirer may attribute value to the existence of an assembled workforce, which is an existing collection of employees that permits the acquirer to continue to operate an acquired business from the acquisition date. An assembled workforce does not represent the intellectual capital of the skilled work­force—the (often specialised) knowledge and experience that employees of an acquiree bring to their jobs. Because the assembled workforce is not an identifiable asset to be recognised separately from goodwill, any value attributed to it is subsumed into goodwill »

Aussi, seule une partie du capital intellectuel que cette « workforce » cristallise peut faire l’objet d’une comptabilisation (marque, brevets, relations clients …). Dans une évaluation d’entreprise, l’aspect social ou humain n’est pris en compte qu’indirectement au travers des entretiens avec le management : si l’évaluateur considère qu’il y a un décalage entre les projections et la capacité de l’entreprise à les réaliser pour des raisons humaines, il doit en tenir compte dans son opinion. Lorsqu’elle existe, la cartographie des risques peut également être exploitée lorsqu’elle comporte une dimension sociale. D’une manière générale, l’évaluateur doit se conforter sur la capacité du management à exécuter sa stratégie. Mais tous les ajustements éventuellement apportés aux cash-flows ou dans le taux d’actualisation sont totalement subjectifs.

Certains mettent beaucoup d’espoirs dans le lancement de nombreuses initiatives visant à normaliser l’information, les comportements ou les indicateurs.

  • Les réglementations : Depuis 2001, les sociétés françaises cotées doivent publier dans leur rapport de gestion des données « sur la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité ». Cette obligation d’information découle de plusieurs textes : la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001, l’ordonnance n°2004-1382 du 22 décembre 2004, les informations que l’AMF demande aux entreprises d’intégrer dans les prospectus et les documents de référence des sociétés. On se reportera à la Recommandation AMF n° 2010-13 du 2 décembre 2010 pour un panorama complet de ces obligations.
  • Les codes de conduite : lancé en 2000, le pacte mondial des Nations Unies (Global Compact), est une initiative qui regroupe plusieurs milliers d’entreprises citoyennes qui s’engagent à respecter 10 principes dont 4 concernent le droit du travail (on trouvera sur le site de Global compact un nombre impressionnant de brochures et rapports sur ces questions). L’OCDE a également défini des principes directeurs à l'intention des entreprises multinationales qui comportent un volet social.
  • Les référentiels : la Global Initiative Reporting (GRI) qui a été lancée en 1997 par un réseau de partenaires (sociétés, ONG, professionnels de la comptabilité, investisseurs …) a comme objectif la mise au point d’un référentiel mondial pour le reporting développement durable. Il comporte un volet « Emploi, relations sociales et travail décent » qui définit les informations et les 14 indicateurs que les entreprises doivent rendre publics sur ces questions. Il existe également une norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des entreprises. Enfin, en juillet 2010 l’International Integrated Reporting Committee (IIRC) a vu le jour sous l’impulsion du GRI et de Accounting for Sustainability (A4S), initiative du Prince Charles visant à rénover le reporting comptable des entreprises. Un discussion paper devrait voir le jour dans le courant de cette année. L’objectif est ambitieux puisque selon la fact sheet de la FEE, l’Integrated reporting :

is a holistic approach to enable investors and other stakeholders to understand how an organisation is really performing. Addressing the wider as well as longer-term consequences of decisions and actions, an integrated report makes clear the link between financial and non-financial value. The relationship between an organisation's strategy, governance and business model should be transparent through such reporting. It also gives an analysis of the impacts and interconnections of material opportunities, risks and performance across the value chain.

On attend avec impatience ce document et les progrès que cette approche va permettre car elle pourrait répondre au fameux expectation gap dont souffrent les auditeurs et leurs clients (voir Haro sur l’auditeur ? et Le rôle de l’auditeur dans le rétablissement de la confiance des marchés).

Mais attention ! Ces initiatives pourraient inciter les entreprises à privilégier le respect de la conformité au lieu d’essayer de mettre à jour les indicateurs spécifiques à leur modèle de développement. Il ne faut pas oublier que les investisseurs veulent comprendre quels sont les avantages compétitifs, par définition uniques, de l’entreprise dans laquelle ils ont investi. Les indicateurs qui sont préconisés pour l’instant sont trop génériques pour les satisfaire. Chaque entreprise doit faire l’effort de mettre au point l’information pertinente qui permettra à ses actionnaires de comprendre en quoi ses hommes, leur culture, leur expérience, la stratégie des ressources humaines permettent d’être confiant sur l’exécution de la stratégie.

Il est également essentiel que la performance humaine soit reliée de manière structurée à la performance financière. A cet égard, le « balanced scorecard » semble être un outil intéressant. Popularisé par le best seller de Kaplan et Norton en 1996, il fait partie des outils de management de la performance les plus utilisés par les grandes sociétés américaines (voir le rapport de Bain & Company « Management Tools and Trends 2011 »). Même s’il a connu une évolution profonde depuis ce livre, sa logique reste la même : il s’agit d’une démarche méthodique visant à identifier des indicateurs clés de performance sur plusieurs plans : finance, client, processus internes, innovation et personnel et de mettre en évidence leurs liens avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.

Pour une entreprise soucieuse d’aider le marché à mieux prendre en compte la dimension humaine dans ses attentes et son évaluation, la voie à suivre consiste à intégrer les différents outils dont elle dispose (cartographie des risques, en particulier les risques sociaux, tableaux de bord type « balanced scorecard » dans sa dimension capital humain) avec le système de prévisions financières et d’évaluation. En identifiant plus clairement les éléments non financiers qui ont un impact sur la stratégie et la valeur, le management se dote d’une base de discussion solide avec les investisseurs et réduit son risque actionnarial (voir « Le risque actionnarial : réel, majeur, fréquent et pourtant négligé »).

L’évaluateur n’est pas dans une situation différente. Il doit également s’efforcer de tirer partie de tous les outils de mesure de la performance mis en place par l’entreprise. La situation est idéale s’il existe un balanced scorecard. Mais, dans tous les cas, il devrait systématiquement exploiter la cartographie des risques dont l’utilisation est à présent largement répandue dans les entreprises cotées. S’il n’y a pas de formule ou de modèle qui permette d’intégrer la dimension humaine dans une évaluation, il existe beaucoup d’éléments d’information stratégiques, aujourd’hui encore trop souvent négligés, qui méritent d’être exploités systématiquement dans les évaluations.

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